LES EAUX COMPOSÉES: Mémoires et Fragments: Exposition #9, saison 4
Curation de l'exposition : Jeanne Mathas
79 rue du cherche midi, 75006 paris
« La mer, compliquée du vent, est un composé de forces. Un navire est un composé de machines. Les forces sont des machines infinies, les machines sont des forces limitées. C’est entre ces deux organismes, l’un inépuisable, l’autre intelligent que s’engage ce combat qu’on appelle la navigation. »
Victor Hugo, Les travailleurs de la mer
Réunies dans le cadre du Cercle de l’Art, Rachel Altabas, Marina Mankarios, Zineb Mezzour, Jeanne-Sophie de Peretti et Joséphine Vallé Franceschi, arpentent, chacune à leur manière, les liens entre la mémoire, ses mouvements et la perception de la matérialité. Leurs travaux dialoguent autour d’une même aspiration : révéler ce qu’il y a derrière l’apparente fixité du visible.
Rappelant L’Eau et les rêves de Gaston Bachelard, elles font des flots et de l’écume un territoire d’investigation plastique et poétique. Cette substance insaisissable se fait le fil conducteur de recherches où connaissances et intuitions frayent ensemble ; où les souvenirs se frottent au réel, jusqu’à l’altérer.
Rachel Altabas, passée par le monde du design textile et de la mode, a développé une approche singulière de la couleur et du motif. Ses compositions oscillent entre la terre et l’eau, puisant dans l’héritage méditerranéen pour retranscrire l’essence de ses paysages. Avec la peinture, la céramique et la broderie, elle ausculte la lumière et la matière, affirmant la porosité entre chacun de ces médiums où les surfaces deviennent le creuset de nouvelles mythologies.
Marina Mankarios détourne les techniques classiques du moulage pour réinventer la sculpture. Nourrie par l’imagerie gréco-romaine, elle interroge la notion de copie et d’original, brisant la fixité des formes pour mieux en révéler la mutation. Par l’empreinte, la fragmentation et la distorsion, elle questionne l’aura de l’objet et la mémoire, parfois politique, qu’il porte, sa reproductibilité ; toujours sur le fil entre la transmission et l’effacement.
Le travail de Zineb Mezzour, quant à lui, s’inscrit à la croisée des mathématiques, de la science et de l’art. Fascinée par les structures sous-jacentes du vivant, elle explore les motifs fractals, ces formes se répétant à l’infini, dans l’eau, les coraux, les racines et les roches. En conjuguant encre, céramique et photographie, l’artiste accorde l’ordre et le chaos.
Jeanne-Sophie de Peretti fait de sa vie intérieure un état pictural. Ses peintures, souvent teintées d’un bleu nocturne, tantôt traversées par des figures animales ou habitées de maisons silencieuses, dévoilent une quête d’introspection. À ses paysages flottants, elle associe parfois la broderie, reliant ainsi fil et pensée, rejoignant ce lien si fort que Barthes soulignait entre les mots — le texte — et le textile. Peretti capte l’éphémère, ouvre des brèches vers d’autres imaginaires.
Les œuvres de Joséphine Vallé Franceschi, enfin, superposent les chronologies. Elles brouillent les frontières de la réalité. Ces images, saisies entre l’Italie, la Corse et la Grèce, créent un dialogue où chaque regardeur·euse projette sa propre mémoire. L’artiste parcourt la photographie, la vidéo et l’écriture, chassant sans relâche l’ombre d’un personnage fantasmé que l’on ne rattrape jamais.
Cette exposition se veut ainsi une constellation de gestes et d’attentions. Ces cinq artistes jettent des ponts entre ce qui est tangible et ce qui ne l’est pas, ou plus ; transformant alors l’onde en lieu où les récits se superposent souvent, s’effacent parfois et ressurgissent sans cesse.
Photos de l'exposition : © Romain Darnaud