La Vie des Formes: Exposition #6, saison 4
Curation de l'exposition : Barbara Musetti
79 impasse du Cherche-Midi, 75006 Paris
« La forme n’est qu’une vue de l’esprit, tant qu’elle ne vit pas dans la matière ».
Tels sont les mots d’Henri Foncillon dans son célèbre ouvrage La vie des formes, auquel nous avons emprunté le titre de cette exposition consacrée à cinq artistes aux techniques différentes mais au credo commun : la compréhension du monde exige du “flair tactile”.
Les matières, on le sait, comportent une certaine destinée, une certaine vocation formelle, elles sont choisies non seulement pour leur commodité mais parce que toutes les formes brutes de ces matières, suggèrent d’autres formes. Les matières de la nature se métamorphosent ainsi progressivement en matière de l’art.
En envisageant la technique comme un processus et en essayant de la reconstituer comme tel, les cinq artistes ici exposées dépassent, chacune à travers son propre
langage, les phénomènes de surface pour saisir des relations plus profondes au monde.
Pour Meaghan Matthews, la technique est le développement organique de la vie des formes.Telle une biologiste ou une astronome, sa représentation du vivant passe à travers une plongée dans la matière qui révèle ses structures sous forme poétique. Du macrocosme au microcosme, la terre, vue du ciel ou de son noyau, laisse ses empreintes que l’artiste enregistre dans une matière - verre, peinture, résine – susceptible d’en établir le récit.
Un récit émancipé de la figuration et parfois suspendu à un fil, comme celui de Solenne Jolivet qui en a fait son pinceau et sa couleur. Laissé libre d’évoluer dans l’espace, ce fil crée les trames de nouveaux récits, de labyrinthes tissés qui donnent vie à des peintures en trois dimensions capables de tromper le regard, au point d’imaginer une matière singulière, touchée sans technique, et une surface sans repère, qui nous aspire dans les abysses de la couleur.
C’est aussi un fil qui donne forme aux traits des carnets de Camille Bertrand, réalisés lors de ses pérégrinations au Maroc, entre ciels et montagnes. Il en ressort des horizons brodés en fils de laine ou de chanvre teintés naturellement par l’artiste, des pièces « pièces conteuses » où les sillons de l’espace et du temps sont aussi imperceptibles qu’avec les points de la technique ancienne Rozlaby invisibles à l’envers de la toile. Des invitations poétiques qui font d’une ligne la promesse d’un paysage, réel ou imaginé.
Les paysages de Lola Mercier nourris de mythes et de rêves, sont peuplés de volcans, de cavernes, d’îles incendiées par les flammes d’un soleil coulant, d’un réalisme devenu magique par l’outrance des couleurs vives. La dimension onirique et émotionnelle de ces lieux prend forme à travers la légèreté ondulante de la soie peinte à la main ou sous les strates des tissus assemblés comme des objets trouvés. Des paysages en transformation, métaphores d’une sismographie intérieure.
La vie des formes se cherche souvent d’autres voies, comme avec les lignes enchanteresses de Letizia Giannella, qui (se) font (un) chemin, qui défient les limites et les confins, qui ont appris dans le temps à tracer sur le papier la géographie et l’histoire d’un monde personnel et poétique, fait de globes, d’îles et de chemins sensibles. Il en ressort une cartographie minutieuse, faite de traits infinis et instinctifs, presque inconscients, par lesquels la répétition du geste multiplie le savoir. Une cartographie où le creux révèle le relief et l’absence œuvre en résonance avec la mémoire des lieux et des peuples qui les ont habités. Les vies reprennent ainsi forme.
Photos de l'exposition : © Romain Darnaud